Champions africains des énergies renouvelables : Maroc, Nigeria et Tunisie tracent la voie de la transition

L’Afrique prend les commandes de sa transition énergétique

Longtemps perçu comme un continent énergétiquement fragile, dépendant des importations et des énergies fossiles, l’Afrique s’impose aujourd’hui comme un acteur majeur de la révolution verte mondiale. Avec un potentiel solaire exceptionnel (ensoleillement de 2 500 à 3 500 heures/an), des ressources éoliennes considérables et une volonté politique croissante, plusieurs pays africains redéfinissent leur mix énergétique à grande vitesse.

Trois nations se démarquent par leur ambition, leurs investissements et leurs résultats concrets : le Maroc, pionnier continental du solaire et de l’hydrogène vert ; le Nigeria, géant démographique et pétrolier en pleine mutation vers les renouvelables ; et la Tunisie, modèle méditerranéen de transition progressive et d’intégration régionale.

En 2025, alors que l’Afrique représente encore moins de 3% de la capacité installée mondiale en renouvelables, ces trois champions incarnent l’espoir d’un continent capable de sauter l’étape des fossiles pour accéder directement à une énergie propre, abondante et souveraine. Voyage au cœur de leurs stratégies, réussites et défis.


Maroc : le leader incontesté du continent

Une vision stratégique validée par les faits

Le Maroc a fait des énergies renouvelables un pilier de sa souveraineté énergétique dès 2009 avec le lancement de la Stratégie Énergétique Nationale. L’objectif fixé à l’époque était audacieux : 42% de renouvelables dans le mix électrique en 2020, puis 52% en 2030.

En novembre 2025, le royaume affiche 37,6% de capacité renouvelable installée, en bonne voie pour atteindre 10 GW d’énergie propre d’ici 2030. Cette performance place le Maroc parmi les 10 premiers pays au monde pour la part des renouvelables dans la production électrique.

Noor Ouarzazate : la cathédrale du solaire africain

Inaugurée entre 2016 et 2018, la centrale solaire thermodynamique Noor Ouarzazate (580 MW) reste le symbole de l’ambition marocaine. Située dans le désert de Ouarzazate, cette installation produit annuellement 1,2 TWh d’électricité, alimentant 2 millions de Marocains et évitant l’émission de 800 000 tonnes de CO₂ par an.

La technologie CSP (Concentrated Solar Power) avec stockage thermique permet de produire même après le coucher du soleil, résolvant le problème majeur de l’intermittence solaire. Ce projet de 9 milliards de dollars, financé par la Banque mondiale, l’AFD, la BEI et des fonds privés, a fait du Maroc une référence mondiale.

L’éolien en plein essor

Le parc éolien de Tarfaya (300 MW), le plus grand d’Afrique lors de son inauguration en 2014, a été complété par des dizaines d’autres installations. Le royaume vise 3,5 GW d’éolien installé d’ici 2027, notamment via des projets offshore le long de la côte atlantique.

En novembre 2025, le gouvernement a annoncé de nouveaux appels d’offres pour 1,2 GW d’éolien répartis entre Tanger, Agadir et Dakhla, attirant des géants comme Siemens Gamesa, Vestas et ACWA Power.

L’hydrogène vert : le pari de la décennie

Le Maroc se positionne comme futur hub mondial de l’hydrogène vert. Le programme « Offre Maroc » prévoit :

  • 20 GW de capacité renouvelable dédiée à l’hydrogène
  • 10 GW d’électrolyseurs
  • 8 millions de tonnes/an de dérivés d’hydrogène vert (ammoniac, carburants synthétiques, acier décarboné) d’ici 2030

Selon les projections, le Maroc pourrait couvrir 4-5% de la demande mondiale d’hydrogène en 2030 et dépasser l’Espagne de 30% en volume de production d’ici 2050. Le projet phare Chbika (Guelmim-Oued Noun) vise à produire 200 000 tonnes d’ammoniac vert/an destinées au marché européen.

Investissements annoncés : 25 milliards USD d’investissements privés (notamment Dahamco – alliance Émirats-Maroc), créant des dizaines de milliers d’emplois qualifiés.


Nigeria : le géant pétrolier en pleine mutation

Un contexte complexe : dépendance aux fossiles et déficit électrique

Premier producteur de pétrole d’Afrique avec 1,4 million de barils/jour, le Nigeria fait paradoxalement face à un déficit énergétique chronique. Seulement 60% de la population (130 millions de personnes) a accès à l’électricité, et les délestages sont quotidiens.

Conscient que le modèle pétrolier est insoutenable climatiquement et économiquement (volatilité des prix), le président Bola Ahmed Tinubu a lancé en 2024 un Plan de Transition Énergétique ambitieux visant la neutralité carbone en 2060.

Objectifs audacieux : -45% d’émissions en 2030

Le plan nigérian prévoit :

  • Réduction de 45% des émissions de GES d’ici 2030 (puis -90% en 2050)
  • Mobilisation de 410 milliards USD d’investissements d’ici 2060
  • Activation d’un marché carbone local devant générer 2,5 milliards USD d’ici 2030
  • Développement massif du solaire rural pour électrifier les zones non connectées

Solaire rural : électrifier les villages déconnectés

Le Nigeria déploie des mini-réseaux solaires (solar mini-grids) dans des centaines de villages isolés. Ces installations de 50 à 500 kW alimentent écoles, centres de santé, petites entreprises locales, transformant la vie de communautés entières.

Exemple concret : Le projet NEP (Nigeria Electrification Project) financé par la Banque mondiale a équipé 1,2 million de foyers en systèmes solaires domestiques et construit 150 mini-réseaux entre 2020 et 2024.

Biomasse et valorisation des déchets agricoles

Pays agricole majeur, le Nigeria expérimente la conversion de déchets agricoles (résidus de manioc, balle de riz, bagasse de canne à sucre) en électricité via des centrales biomasse. Cette double valorisation (énergie + gestion déchets) s’inscrit dans une économie circulaire prometteuse.

Partenariats stratégiques : Inde, Allemagne, Chine

En février 2025, le Nigeria a signé un partenariat avec l’Inde pour financer et développer des projets solaires et éoliens. L’Allemagne soutient la formation d’ingénieurs et la R&D. La Chine, via des entreprises comme Huawei et Longi, fournit équipements et expertise technique.


Tunisie : transition méditerranéenne et intégration régionale

Une stratégie progressive et réaliste

La Tunisie, plus petit pays des trois mais à l’avant-garde méditerranéenne, vise 35% de renouvelables dans son mix électrique d’ici 2035, contre 15% aujourd’hui. La capacité cible est de 3 800 MW (solaire et éolien combinés).

En novembre 2025, la Cheffe du gouvernement Olfa Zenzri a annoncé la mise en exploitation de trois nouvelles centrales solaires (200 MW au total) : Matbasta-Kairouan (100 MW), Sidi Bouzid (50 MW) et Tozeur (50 MW).

Fermes solaires : de Kasserine à Tozeur

Les projets solaires tunisiens se multiplient grâce aux partenariats public-privé :

Qair Solar et Mazarine Energy développent des parcs photovoltaïques de 30-50 MW dans les gouvernorats de Kasserine, Gafsa et Tozeur.

Ces installations bénéficient d’un ensoleillement exceptionnel (3 200 heures/an) et alimentent le réseau national, réduisant la dépendance aux importations de gaz algérien.

ELMED : l’interconnexion stratégique avec l’Italie

Le projet phare tunisien est ELMED, câble électrique sous-marin de 190 km reliant la Tunisie à la Sicile (Italie) avec une capacité de 600 MW (extensible à 1 000 MW).

Objectifs d’ELMED :

  • Exporter l’électricité solaire tunisienne vers l’Europe aux heures de forte production
  • Importer de l’électricité européenne en période de déficit
  • Positionner la Tunisie comme hub énergétique méditerranéen

Le projet, cofinancé par l’UE (600 millions €), devrait entrer en service en 2027-2028, faisant de la Tunisie un pont entre l’Afrique et l’Europe.

Agence foncière des énergies renouvelables

Pour accélérer le déploiement, le gouvernement tunisien crée une Agence foncière des EnR chargée de faciliter l’attribution de terrains publics pour les projets solaires et éoliens, réduisant les délais administratifs de 50%.


Comparaison des performances et perspectives 2025-2030

Capacité installée et objectifs

Maroc : 4,5 GW installés (2025) → objectif 10 GW (2030) = +122%

Nigeria : ~2,5 GW installés (2025) → objectif 15 GW (2030) = +500%

Tunisie : 0,6 GW installés (2025) → objectif 3,8 GW (2035) = +533%

Le Nigeria affiche l’ambition la plus élevée en valeur absolue, mais part d’une base très faible. Le Maroc maintient un leadership solide. La Tunisie progresse régulièrement malgré des contraintes budgétaires.

Financement : le nerf de la guerre

Maroc : Mobilise des financements internationaux massifs (Banque mondiale, BEI, fonds souverains émiratis). Modèle PPP (partenariat public-privé) très développé.

Nigeria : Dépend encore fortement des partenaires (Inde, Allemagne, Banque mondiale). Marché carbone émergent prometteur mais fragile.

Tunisie : Bénéficie du soutien européen (ELMED, Fonds vert climat), mais la crise économique nationale limite les investissements publics.

Infrastructures et réseaux

Défi commun : Les trois pays doivent moderniser leurs réseaux de transport et distribution pour intégrer massivement les renouvelables intermittents. Le Maroc et la Tunisie avancent, le Nigeria accuse un retard structurel.

Politiques publiques et gouvernance

Maroc : Leadership politique clair, stratégie à long terme stable depuis 2009, agences dédiées (MASEN, ONEE).

Nigeria : Volonté politique récente mais forte, défis de coordination fédérale-états, corruption à combattre.

Tunisie : Stratégie cohérente mais exécution ralentie par instabilité politique et contraintes budgétaires.


l’Afrique, moteur de la transition énergétique mondiale

Le Maroc, le Nigeria et la Tunisie prouvent qu’l’Afrique n’est plus spectatrice de la transition énergétique—elle en est actrice. Ces trois nations, par leurs stratégies distinctes mais complémentaires, démontrent que le continent dispose des ressources naturelles, du potentiel humain et de la volonté politique pour bâtir un avenir énergétique propre, souverain et inclusif.

La coopération régionale, notamment via des interconnexions électriques (ELMED Tunisie-Italie, projets Maghreb-Europe, réseaux ouest-africains), multipliera les bénéfices : mutualisation des ressources, stabilité des réseaux, export d’électricité verte vers l’Europe et l’Asie.

Les opportunités d’innovation sont immenses : stockage d’énergie, hydrogène vert, digitalisation des réseaux, formation de millions de techniciens et ingénieurs. L’Afrique peut devenir le laboratoire mondial des solutions énergétiques durables.

Les défis restent considérables—financement, infrastructures, gouvernance—mais l’élan est lancé. D’ici 2030, l’Afrique pourrait représenter 10% de la capacité renouvelable mondiale contre 3% aujourd’hui. Le Maroc, le Nigeria et la Tunisie tracent cette voie avec détermination.

Comme le résume Leila Benali, ministre marocaine de la Transition énergétique : « L’Afrique a le soleil, le vent et la jeunesse. Elle a tout pour devenir le continent de l’énergie du XXIᵉ siècle. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut