Le Maroc trace sa route vers la fin du charbon : une révolution énergétique en marche

Introduction : Un virage historique dans le désert

Dans les vastes étendues ensoleillées du royaume chérifien, une transformation silencieuse mais spectaculaire est en cours. Le Maroc, longtemps dépendant du charbon importé pour alimenter ses centrales électriques, vient d’annoncer un engagement historique : sortir complètement de cette énergie fossile d’ici 2040. Cette décision marque un tournant majeur dans la stratégie énergétique marocaine et positionne le pays comme un pionnier de la transition énergétique en Afrique et dans le monde arabe.

Le message est clair et sans ambiguïté. « Le pays n’a pas d’autre choix que d’investir massivement dans l’éolien et le solaire », déclarait récemment la ministre de la Transition énergétique, Leila Benali. Cette sortie anticipée du charbon, inscrite dans la nouvelle Contribution Déterminée au niveau National (CDN 2035), traduit une ambition climatique renouvelée et un alignement ferme sur les principes de l’Accord de Paris.

Mais cette révolution verte ne se fera pas du jour au lendemain. Avec 59,3% de son électricité encore produite par le charbon en 2024, le Maroc doit orchestrer une transition complexe, nécessitant des investissements colossaux, des réformes structurelles et un soutien international massif. Comment le royaume compte-t-il relever ce défi titanesque ? Quelles sont les alternatives déployées ? Et surtout, quels enseignements offre cette mutation pour le reste du continent et au-delà ?

Pourquoi le Maroc tourne la page du charbon

Une dépendance coûteuse et insoutenable

Le charbon a longtemps été le pilier du système électrique marocain. En 2023, cette source fossile représentait encore 62% de la production électrique et 29,2% de l’approvisionnement énergétique national. Une dépendance lourde de conséquences : le Maroc, qui ne dispose d’aucune ressource charbonnière propre, doit importer l’intégralité de ses besoins, exposant son économie aux fluctuations des prix mondiaux et pesant lourdement sur sa balance commerciale.

La facture énergétique du royaume dépassait 140 milliards de dirhams en 2023, soit plus de 6% du PIB national. Une hémorragie financière qui fragilise la souveraineté énergétique du pays et hypothèque ses capacités d’investissement dans d’autres secteurs stratégiques.

L’urgence climatique et environnementale

Au-delà des considérations économiques, les impacts environnementaux et sanitaires du charbon ne peuvent plus être ignorés. Les centrales thermiques marocaines rejettent des millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère chaque année, contribuant au réchauffement climatique dont le pays subit déjà les conséquences : sécheresses récurrentes, stress hydrique, désertification progressive des terres agricoles.

Les populations vivant à proximité des centrales à charbon souffrent également de la pollution atmosphérique, avec des impacts documentés sur la santé respiratoire et cardiovasculaire. La ville de Safi, qui abrite l’une des plus grandes centrales du pays, illustre douloureusement ces réalités.

Une ambition politique forte

En rejoignant la Powering Past Coal Alliance (PPCA) en 2023, le Maroc a envoyé un signal fort à la communauté internationale. Cette coalition réunit une soixantaine de gouvernements, d’institutions financières et d’entreprises déterminés à accélérer la transition vers une énergie propre.

L’engagement marocain va au-delà des déclarations d’intention. Le gouvernement s’est fixé des objectifs chiffrés ambitieux : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 53% d’ici 2035, tripler les capacités renouvelables pour atteindre plus de 15 gigawatts d’ici 2030, et surtout, cesser toute planification de nouvelles centrales à charbon. Cette dernière décision, prise dès 2023, constitue un pas décisif vers la décarbonation du secteur électrique.

Les alternatives en plein essor : solaire, éolien et innovation

Le solaire, or jaune du royaume

Le Maroc possède un atout naturel exceptionnel pour l’énergie solaire : un ensoleillement annuel dépassant 3000 heures dans certaines régions et une irradiation solaire parmi les plus élevées au monde. Le royaume a su transformer cette bénédiction géographique en stratégie économique avec le lancement de projets pharaoniques.

Le complexe solaire Noor Ouarzazate incarne cette ambition. Inauguré progressivement entre 2016 et 2018, il s’étend sur plus de 3000 hectares et combine plusieurs technologies : solaire thermique à concentration et photovoltaïque. Avec une capacité de 580 MW, il alimente déjà plus d’un million de Marocains en électricité propre et évite l’émission de centaines de milliers de tonnes de CO2 chaque année.

Mais Ouarzazate n’est que le début. Le pays multiplie les projets de centrales solaires à travers son territoire, des plaines atlantiques aux confins sahariens, avec un objectif clair : faire du solaire un pilier du mix énergétique national d’ici 2030.

L’éolien, la force invisible du changement

Si le solaire capte l’attention médiatique, l’éolien constitue l’autre jambe sur laquelle s’appuie la transition énergétique marocaine. Le royaume bénéficie de vents puissants et réguliers, particulièrement sur sa façade atlantique, de Tanger à Dakhla.

Le parc éolien de Tarfaya, inauguré en 2014, illustre ce potentiel. Avec 131 éoliennes déployées sur 8900 hectares et une capacité de 301 MW, il figure parmi les plus grands parcs éoliens d’Afrique. Plus au nord, le complexe éolien de Tanger alimente la région du détroit avec 140 MW de puissance installée.

Le programme national pour l’énergie éolienne vise 5200 MW de capacité installée d’ici 2030. Des projets sont en cours de développement à Boujdour, Tiskrad, Jbel Lahdid et dans plusieurs autres régions, créant au passage des milliers d’emplois et renforçant l’industrie locale des composants éoliens.

L’hydrogène vert, pari sur l’avenir

Le Maroc ne se contente pas des technologies éprouvées. Le royaume mise également sur l’hydrogène vert, ce vecteur énergétique produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable. Cette technologie émergente pourrait révolutionner la décarbonation des secteurs difficiles comme l’industrie lourde, le transport maritime et l’aviation.

Plusieurs projets pilotes sont en cours de développement, notamment dans la région de Dakhla-Oued Eddahab, où les conditions naturelles exceptionnelles (soleil et vent) permettent une production d’hydrogène vert particulièrement compétitive. Le gouvernement ambitionne de faire du Maroc un hub régional de production et d’exportation d’hydrogène vert vers l’Europe, créant ainsi une nouvelle filière économique stratégique.

L’hydroélectricité et le stockage

L’hydroélectricité, bien que contrainte par les ressources en eau limitées du pays, demeure une composante importante du mix énergétique. Les barrages existants assurent non seulement une production électrique stable mais également une fonction cruciale de stockage d’énergie par pompage-turbinage.

Ces stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) permettent de stocker l’énergie excédentaire produite par le solaire et l’éolien pendant les périodes de faible demande, puis de la restituer lors des pics de consommation. Cette technologie résout partiellement le problème de l’intermittence des renouvelables et assure la stabilité du réseau électrique.

Une transition ambitieuse mais semée d’embûches

Le poids des contrats existants

Sortir du charbon ne se décrète pas, cela se planifie méticuleusement. L’un des obstacles majeurs réside dans les contrats d’achat d’électricité (PPA) signés avec les producteurs privés. Près de 40% de la production électrique marocaine dépend de contrats privés à long terme, certains s’étendant jusqu’en 2040.

Ces contrats, qui garantissent des revenus aux investisseurs sur plusieurs décennies, ne peuvent être résiliés unilatéralement sans conséquences financières majeures. Renégocier ces accords ou compenser financièrement les producteurs pour une fermeture anticipée représente un défi juridique et économique considérable.

Le défi du financement

La transition énergétique a un prix : 96 milliards de dollars selon les estimations officielles. Un montant vertigineux pour une économie émergente, même dynamique comme celle du Maroc. C’est pourquoi l’engagement de sortie du charbon reste conditionné à un soutien financier international substantiel.

Le royaume compte sur les mécanismes de financement climatique internationaux, les partenariats avec les institutions financières multilatérales (Banque mondiale, Banque africaine de développement) et les investissements privés pour combler ce fossé. Les obligations vertes, les financements concessionnels et les partenariats de transition énergétique juste constituent autant de leviers financiers à activer.

L’équation sociale et territoriale

Fermer des centrales à charbon signifie également gérer les conséquences sociales de cette transition. Des milliers d’emplois directs et indirects dépendent du secteur charbonnier, de l’exploitation portuaire pour l’importation aux centrales thermiques elles-mêmes.

Une transition juste nécessite d’anticiper ces impacts, de reconvertir les travailleurs vers les filières vertes, et de développer des alternatives économiques pour les régions dépendantes du charbon comme Safi ou Jorf Lasfar. Cette dimension sociale constitue un pilier essentiel de la stratégie gouvernementale pour éviter les résistances et garantir l’adhésion populaire à la transformation énergétique.

Les défis techniques et infrastructurels

L’intégration massive d’énergies renouvelables intermittentes dans le réseau électrique soulève des défis techniques complexes. Les variations de production solaire et éolienne nécessitent des capacités de stockage importantes, des réseaux intelligents capables de gérer les flux bidirectionnels d’électricité, et des systèmes sophistiqués de prévision et d’équilibrage.

Le Maroc investit massivement dans la modernisation de son réseau électrique, le déploiement de compteurs intelligents et les technologies de stockage. Mais ces infrastructures prennent du temps à déployer et nécessitent des investissements continus sur plusieurs années.

Le Maroc, locomotive verte de l’Afrique

Un modèle pour le continent

Le leadership du Maroc dans les énergies renouvelables dépasse largement ses frontières. Avec 45% de son mix électrique déjà issus de sources propres en 2025, le royaume se positionne comme l’un des pays les plus avancés d’Afrique dans la transition énergétique.

Cette réussite inspire d’autres nations du continent, confrontées aux mêmes défis de dépendance énergétique et de vulnérabilité climatique. Le Maroc partage activement son expertise technique, accueille des délégations africaines pour des visites d’étude de ses installations, et soutient le développement de projets similaires dans les pays voisins.

Un pont énergétique vers l’Europe

La position géographique stratégique du Maroc, à quelques kilomètres de l’Europe via le détroit de Gibraltar, en fait un partenaire énergétique privilégié pour le continent européen. Les interconnexions électriques existantes permettent déjà des échanges d’électricité avec l’Espagne, et des projets ambitieux visent à renforcer ces capacités.

Le royaume ambitionne de devenir un exportateur majeur d’électricité verte et d’hydrogène vers l’Europe, transformant ainsi sa richesse solaire et éolienne en levier de développement économique. Cette vision s’inscrit dans les stratégies européennes de diversification des approvisionnements énergétiques et de sécurisation de sources propres.

Une diplomatie climatique active

Le Maroc ne se contente pas d’agir sur son territoire, il s’impose également comme une voix influente dans les négociations climatiques internationales. L’organisation réussie de la COP22 à Marrakech en 2016 a consolidé cette position, permettant au royaume de promouvoir les priorités africaines et de plaider pour une solidarité climatique accrue entre pays développés et émergents.

Cette diplomatie active porte ses fruits : le Maroc bénéficie d’un soutien croissant de la communauté internationale pour financer sa transition, et ses initiatives innovantes (comme le projet Noor) sont régulièrement citées en exemple dans les forums internationaux.

Vers un horizon sans charbon : espoirs et perspectives

2030, première étape décisive

L’objectif de 52% d’énergies renouvelables dans le mix électrique d’ici 2030 constitue une étape intermédiaire cruciale. Si le royaume parvient à atteindre ce seuil, la sortie complète du charbon en 2040 deviendra non seulement réalisable, mais probablement inévitable d’un point de vue économique.

Les énergies renouvelables deviennent chaque année plus compétitives. Le coût du solaire photovoltaïque a chuté de plus de 80% en une décennie, et celui de l’éolien suit une trajectoire similaire. À mesure que ces technologies deviennent moins chères que le charbon, même sans considérations environnementales, la transition s’imposera d’elle-même.

L’autoproduction citoyenne, complément indispensable

La transition ne repose pas uniquement sur les méga-projets. Le développement de l’autoproduction solaire par les ménages, les entreprises et les collectivités locales constitue un complément essentiel. Avec des dizaines de milliers de toitures équipables et un potentiel de production décentralisée considérable, cette dimension citoyenne de la transition mérite d’être renforcée.

Les récentes réformes réglementaires facilitant l’autoconsommation et la revente d’électricité au réseau ouvrent de nouvelles perspectives. Chaque Marocain peut désormais devenir acteur de la révolution énergétique, transformant son toit en mini-centrale solaire et contribuant à l’effort collectif de décarbonation.

La neutralité carbone à l’horizon 2050

Au-delà de la sortie du charbon, le Maroc vise un objectif encore plus ambitieux : la neutralité carbone complète d’ici 2050. Cela implique non seulement de décarboner le secteur électrique, mais également les transports, l’industrie, le bâtiment et l’agriculture.

Cette vision holistique nécessite une transformation profonde de l’économie marocaine, avec l’électrification des transports, la décarbonation de l’industrie cimentière (très émettrice), l’efficacité énergétique généralisée des bâtiments, et l’adoption de pratiques agricoles durables. Un défi colossal, mais techniquement réalisable avec la volonté politique et les investissements adéquats.

Conclusion : Un exemple lumineux pour le monde

Le Maroc trace une route audacieuse vers la fin du charbon, prouvant qu’un pays émergent, sans ressources fossiles propres, peut transformer cette faiblesse apparente en force motrice de son développement durable. Cette révolution énergétique n’est pas seulement une nécessité climatique, c’est aussi une opportunité économique exceptionnelle.

En misant résolument sur ses atouts naturels – le soleil généreux du Sahara et les vents puissants de l’Atlantique – le royaume construit un modèle énergétique souverain, compétitif et respectueux de l’environnement. Cette transformation inspire déjà d’autres nations, particulièrement en Afrique et dans le monde arabe, démontrant que la transition énergétique n’est pas réservée aux pays riches.

Les défis restent nombreux : financer les investissements colossaux nécessaires, gérer la dimension sociale de la transition, moderniser les infrastructures et maintenir la stabilité du réseau. Mais la trajectoire est tracée, les objectifs sont clairs, et la détermination semble inébranlable.

En 2040, si les engagements se concrétisent, les dernières centrales à charbon marocaines s’éteindront définitivement. Ce jour-là, le royaume chérifien pourra célébrer non seulement une victoire environnementale, mais aussi l’aboutissement d’une vision stratégique qui aura transformé son paysage énergétique, son économie et son positionnement international.

Le Maroc ne se contente pas de rêver d’un avenir sans charbon. Il le construit, jour après jour, mégawatt après mégawatt, sous le soleil éclatant de l’Atlas et au rythme des vents atlantiques. Une lumière d’espoir pour la planète, née au cœur du désert.

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