Neoen passe sous contrôle canadien : que devient le champion français du solaire ?

le champion tricolore change de mains

Le 19 mars 2025, un événement majeur a secoué le secteur français des énergies renouvelables : Brookfield Asset Management, géant canadien de la gestion d’actifs, a finalisé le rachat de Neoen, fleuron français du solaire et de l’éolien. Avec 97,73% du capital désormais détenu par Brookfield, Neoen a quitté la Bourse de Paris après sept ans de cotation.

Cette acquisition à 6,1 milliards d’euros marque un tournant symbolique. Neoen, fondée en 2008 par Xavier Barbaro avec l’ambition de « renouveler l’énergie », incarnait la réussite d’un modèle entrepreneurial français dans un secteur hautement stratégique. Son passage sous contrôle étranger soulève des questions essentielles : que devient la souveraineté énergétique française ? Quels impacts pour l’emploi et l’innovation ? Et que révèle ce rachat sur la compétitivité européenne face aux mastodontes internationaux ?


Neoen : une success story française dans les renouvelables

Des débuts audacieux en pleine crise financière

Créée en 2008 par Xavier Barbaro (ancien banquier) et Jacques Veyrat (fondateur d’Impala et Altice), Neoen naît avec une vision radicale : démontrer que les énergies renouvelables peuvent être rentables sans subventions massives, tout en accélérant la transition écologique.

À une époque où le solaire et l’éolien restent marginaux en France, Neoen mise sur des projets à grande échelle et une gestion industrielle rigoureuse. La société ouvre sa première centrale solaire en 2009 et se développe rapidement en France, puis à l’international (Australie, Amérique latine, Europe).

Des projets emblématiques qui marquent les esprits

Centrale solaire de Cestas (2015) : Située en Gironde, cette centrale de 300 MWc devient lors de son inauguration (en pleine COP21 à Paris) le plus grand parc solaire d’Europe. Un symbole de l’ambition française dans les renouvelables.

Hornsdale Power Reserve (2017, Australie) : Neoen construit la plus grande batterie de stockage au monde (150 MW) couplée à un parc éolien. Ce projet, réalisé en partenariat avec Tesla, révolutionne le stockage énergétique et stabilise le réseau sud-australien en proie à des pannes récurrentes.

Projets hybrides solaire + stockage : Neoen innove en combinant production solaire et batteries lithium-ion pour fournir de l’électricité stable 24h/24, même la nuit. Ces installations se multiplient en Australie, en Finlande et en France.

El Llano (2020, Mexique) : L’un des plus grands complexes solaires d’Amérique latine (780 MWc), alimentant des millions de foyers mexicains.

Une croissance fulgurante

Entre 2018 et 2025, Neoen quadruple sa capacité installée, passant de 2,2 GW à 8,9 GW (en exploitation ou en construction). L’entreprise vise 10 GW en 2025, répartis entre :

  • 40% solaire
  • 45% éolien terrestre
  • 15% stockage d’énergie

Présente dans 18 pays sur 4 continents, Neoen emploie 500 personnes et affiche un chiffre d’affaires de 533 millions d’euros en 2024, en croissance régulière.

Un modèle économique validé par les marchés

Neoen entre en Bourse en octobre 2018, intégrant rapidement l’indice SBF 120. Son modèle repose sur des contrats de vente d’électricité à long terme (Power Purchase Agreements – PPAs) signés avec des États, des utilities ou des industriels. Ces contrats garantissent des revenus prévisibles sur 15-25 ans, rassurant les investisseurs.

Xavier Barbaro martèle : « Les renouvelables ne sont plus une utopie écologique—ce sont les énergies les plus compétitives économiquement. » Cette doctrine attire capitaux et partenaires.


Le rachat par Brookfield : chronologie et motivations

Un ballet capitalistique express

Décembre 2024 : Brookfield Renewable Partners annonce l’acquisition d’une participation majoritaire de 53,12% dans Neoen auprès de la famille Veyrat et d’autres actionnaires historiques, dont Xavier Barbaro.

Janvier 2025 : Brookfield lance une offre publique d’achat (OPA) obligatoire au prix de 39,85 €/action, valorisant Neoen à environ 6,1 milliards d’euros.

13 février – 13 mars 2025 : Période de l’OPA. Les actionnaires minoritaires acceptent massivement l’offre.

19 mars 2025 : Brookfield détient 97,73% du capital et demande le retrait obligatoire de la Bourse de Paris. Les derniers actionnaires sont indemnisés au même prix.

4 avril 2025 : Retrait effectif de la cote parisienne. Neoen devient une filiale à 100% de Brookfield.

Les motivations stratégiques de Brookfield

Consolidation mondiale : Brookfield gère 900 milliards de dollars d’actifs et exploite déjà 32 GW de renouvelables via sa plateforme Brookfield Renewable Partners. L’acquisition de Neoen lui permet de franchir la barre symbolique des 40 GW, renforçant sa position de leader mondial.

Accès au marché européen : Neoen offre un ancrage solide en France (premier marché historique) et en Europe, où les objectifs climatiques (neutralité carbone 2050) créent une demande massive pour les renouvelables.

Expertise en stockage : Neoen est un pionnier du couplage production/stockage. Brookfield veut capitaliser sur cette expertise pour déployer des projets hybrides à grande échelle.

Rationalité financière : Le prix de 39,85 €/action représente une prime de 25% par rapport au cours de Bourse avant l’annonce, mais reste attractif pour Brookfield vu le potentiel de croissance (objectif 20 GW à horizon 2030).

Le rôle de Xavier Barbaro : continuité assurée

Fait notable : Xavier Barbaro reste président-directeur général de Neoen et conserve une participation minoritaire via un mécanisme de concert avec Brookfield. Ignacio Paz-Ares, directeur adjoint des investissements chez Brookfield, souligne : « Nous sommes ravis de nous associer à Xavier et ses équipes. Leur vision et leur savoir-faire sont essentiels pour poursuivre la croissance. »

Cette continuité managériale vise à rassurer employés, partenaires et pouvoirs publics sur le maintien de l’ADN entrepreneurial de Neoen.


Conséquences pour la France : entre opportunités et inquiétudes

Souveraineté énergétique : un débat légitime

Le rachat de Neoen par un fonds étranger a suscité des inquiétudes légitimes en France, pays déjà marqué par la perte de champions industriels (Alstom, Alcatel, Pechiney).

Question centrale : Un acteur canadien peut-il garantir les intérêts énergétiques français à long terme ? Que se passe-t-il en cas de divergence stratégique entre Ottawa et Paris ?

Nuance importante : Contrairement au nucléaire ou aux réseaux électriques, la production renouvelable décentralisée (solaire, éolien) ne constitue pas un actif « stratégique » au sens régalien. Les centrales Neoen en France continueront de produire de l’électricité vendue sur le marché français ou européen, indépendamment de la nationalité de l’actionnaire.

Précédent rassurant : Brookfield gère déjà des actifs énergétiques critiques en Europe (réseaux de distribution, centrales hydroélectriques) sans incident majeur. Le groupe canadien privilégie la gestion long terme (horizons 20-30 ans) plutôt que le court-termisme financier.

Emploi et R&D : engagements à surveiller

Brookfield a promis le maintien du siège parisien de Neoen, de ses 500 emplois et de ses 6 bureaux régionaux en France. La R&D sur le stockage et les projets hybrides restera basée à Paris.

Toutefois, rien ne garantit ces engagements éternellement. Vigilance syndicale et gouvernementale sera nécessaire pour éviter un scénario de délocalisation progressive des fonctions stratégiques.

Place de la France dans la filière solaire mondiale

La vente de Neoen symbolise un paradoxe français : le pays dispose d’ingénieurs de talent, d’un écosystème de startups dynamiques (Voltalia, CVE, Valeco), mais peine à produire des géants industriels capables de rivaliser avec les Brookfield, NextEra Energy (USA) ou China Three Gorges.

Pourquoi ? Plusieurs facteurs :

  • Marchés fragmentés : L’Europe compte 27 marchés nationaux distincts, compliquant les économies d’échelle.
  • Capitaux limités : Les fonds de pension nord-américains disposent de centaines de milliards à investir dans les infrastructures. Les équivalents européens sont moins dotés.
  • Réglementation lourde : Les délais d’autorisation pour les projets renouvelables en France peuvent atteindre 7-10 ans, contre 2-3 ans aux États-Unis ou en Australie.

Analyse : ce que révèle le rachat de Neoen

La mondialisation de la transition énergétique

Le rachat de Neoen illustre une réalité : la transition énergétique est devenue un marché mondial de la consolidation. Les acteurs capables de mobiliser des capitaux massifs et de déployer rapidement des projets à l’échelle continentale l’emportent.

Brookfield, avec ses 900 milliards d’actifs, peut financer simultanément des dizaines de projets géants (éolien offshore, solaire + stockage, hydrogène vert) là où Neoen devait lever des fonds projet par projet.

L’Europe, terrain de jeu des géants internationaux

L’Union européenne fixe des objectifs climatiques ambitieux (neutralité carbone 2050, 42% d’énergies renouvelables en 2030), mais laisse le marché aux forces privées. Résultat : les fonds nord-américains (Brookfield, BlackRock, KKR) et asiatiques (Masdar, China Three Gorges) rachètent massivement les acteurs européens.

Question stratégique : L’Europe doit-elle protéger ses champions ou accepter cette logique de marché ouvert ?

Un modèle qui fonctionne : continuité et croissance

Brookfield ne démantèle pas Neoen—il investit pour accélérer sa croissance. L’objectif est d’atteindre 20 GW installés en 2030, doublant la capacité actuelle. Nouveaux marchés ciblés : Amérique du Nord (data centers), Asie-Pacifique (Australie, Corée du Sud) et Afrique subsaharienne.

Cette croissance créera des emplois (ingénieurs, techniciens, développeurs de projets) et renforcera la décarbonation mondiale. Sous cet angle, le rachat peut se lire comme un succès : un entrepreneur français a bâti un champion qui attire les plus grands investisseurs mondiaux.


Conclusion : un tournant ambigu pour l’énergie française

Le passage de Neoen sous contrôle canadien illustre les tensions inhérentes à la transition énergétique : nécessité de capitaux massifs, course à la taille critique, fragmentation européenne, enjeux de souveraineté.

D’un côté, Neoen reste opérationnel, innovant et ambitieux. Xavier Barbaro demeure aux commandes, les équipes françaises sont préservées, et Brookfield apporte les moyens financiers d’une expansion mondiale.

De l’autre, la France perd le contrôle d’un acteur stratégique de sa transition énergétique. Cette vente s’ajoute à une longue liste de fleurons industriels passés sous pavillon étranger, alimentant un sentiment de déclassement industriel.

La vraie question n’est pas tant « faut-il interdire les rachats étrangers ? » (illusoire dans une économie mondialisée), mais plutôt : comment créer les conditions pour que émergent de nouveaux Neoen capables de rester indépendants et de conquérir des marchés internationaux ?

Cela suppose une politique industrielle volontariste : simplification administrative, accès aux financements publics/privés, soutien à l’export, consolidation du marché européen de l’énergie. Sans quoi, l’Europe restera un terrain de chasse pour les géants nord-américains et asiatiques, plutôt qu’une puissance énergétique autonome.

Neoen a prouvé qu’une entreprise française pouvait briller dans les renouvelables. À quand le prochain champion tricolore qui restera tricolore ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut